Niché sur une route tranquille à l'extérieur de Port Alberni, dans la petite communauté de Beaver Creek sur l'île de Vancouver, se trouve un établissement unique, dirigé par des Autochtones. La mission de cet établissement est d'aider les personnes et les familles à guérir leurs traumatismes et leurs dépendances. Le «Kackaamin Family Development Centre,» prononcez «cots-common,» s'est forgé une réputation dans la province comme étant l'un des seuls programmes de réadaptation ayant une approche holistique. Un des avantages de ce programme est qu’il soutient non seulement les adultes mais aussi leurs enfants, leurs jeunes, et leurs familles.
Malheureusement, ce paisible centre de guérison familial et ses voisins sont confrontés au développement d’une usine de production de cannabis et ce directement de l'autre côté de la rue.
Depuis que l'opération Premium Cannabis Meds BC a été proposée en 2017, le personnel de Kackaamin et les résidents locaux ont sonné l’alarme sur les impacts potentiels de cette usine de production. La communauté est particulièment préoccupée par les odeurs qui risquent de se dégager de l’usine. Ces odeurs pourraient ajouter un obstacle supplémentaire aux usagers de Kackaamin qui font face à des dépendances. La proximité de l’usine pourrait nuire au travail du centre dans sa mission d’aide à la réconciliation et guérison des familles autochtones.
De plus, les résidents ont fait part de leurs préoccupations concernant la pollution de l'air et de l'eau, des impacts sur l'habitat des zones humides, l'augmentation de la circulation routière, ainsi que l'utilisation à des fins industrielles d’un terrain situé dans la Réserve de Terres Agricoles. Les membres de la communauté ont imploré la société et les autorités de reconsidérer l'emplacement de l’usine et de la construire ailleurs.
Cependant, malgré l’opposition locale accablante, multiples niveaux du gouvernement n'ont pas répondu aux préoccupations des membres de la communauté. Les permis pour la construction ont été approuvés par les autorités locales et provinciale et la compagnie de cannabis attend toujours son accréditation de Santé Canada.
Le cabinet d’avocats «West Coast Environmental Law» soutient Kackaamin et les résidents de Beaver Creek dans leurs efforts afin de protéger la communauté et ce, à l’aide de leur Fonds de Résolution de Litiges Environnementaux. Alors que la construction de l'usine de cannabis progresse, les membres de la communauté et leurs supporteurs attirent l'attention sur les dommages que ce nouveau développement causeraient à Beaver Creek. De plus, ce projet se ferait au détriment des familles autochtones qui considèrent le Centre Kackaamin comme un lieu de guérison sain et sécuritaire.
Kackaamin: aider les familles à guérir et à s'épanouir
Depuis longtemps, Kackaamin soutient les familles de la côte ouest. Ayant de profondes racines sur les terres Nuu-chah-nulth de l'île de Vancouver, l'organisation a été fondée en tant que « refuge » pour les familles et les individus qui ont subi les impacts négatifs de la colonisation et des écoles résidentielles.
Aujourd'hui, Kackaamin continue de changer la vie de nombreuses familles de la Colombie-Britannique et du Canada. Leur démarche unique tient compte à la fois de l’approche des traumatismes subis, de la neuroscience occidentale et du mode de savoir et de guérison autochtone.
«Cette approche est fondée sur notre vision holistique d’un tout - notre système de valeurs, notre unité avec tout ce qui entoure,» explique Lisa Charleson-Robinson, directrice de Kackaamin. «Vous ne pouvez pas traiter un problème en vous contentant de le faire avec une seule personne. S'il y a un problème dans la famille, généralement tous les membres sont impliqués ou affectés par ce problème.»
Kackaamin est l'un des trois centres au Canada à se spécialiser dans les programmes de réhabilitation axés sur la famille. Avec une école sur place, un service de garde reconnu et une programmation culturelle, cet environnement particulier permet aux usagers d’approfondir les liens avec leurs proches tout en travaillant à surmonter leurs souffrances et dépendances.
Comme l'explique Lisa:
« Maintenant que nous avons découvert les horreurs des écoles résidentielles et ce qui est arrivé à nos parents et grands-parents, nous commençons à établir des liens entre ce qui s'est passé et ce qui se passe avec nos jeunes. Nous les aidons à comprendre et à guérir des traumatismes qu'ils ont subis à la suite de l'effondrement de nos systèmes communautaires et familiaux. Nous les aidons à guérir de ces traumatismes afin qu'ils puissent élever des jeunes enfants en bonne santé pour que nous puissions à nouveau avoir des familles et des nations fortes. »
Pendant la pandémie, au cours d'une année particulièrement difficile, Lisa raconte que les téléphones à Kackaamin ont sonné sans répit puisque de nombreuses familles cherchaient désespérément à accéder aux services. Alors que le personnel s'efforce de répondre à la demande et de continuer à aider ses clients, la construction imminente d'une usine de cannabis de la grandeur d’un centre Wal-Mart dans leur quartier est la dernière chose à laquelle ils veulent faire face.
Quel sera l'impact de l'entreprise de cannabis sur Kackaamin et la communauté?
Les habitants de Beaver Creek s'inquiètent des impacts environnementaux possibles de l’entreprise de culture et production de cannabis. Mais pour Lisa et autres employés de Kackaamin, la préoccupation la plus pressante sont les odeurs potentielles qui pourraient s’avérer un élément déclencheur pour les usagers du centre qui souffrent de dépendances.
Lisa est particulièrement inquiète des impacts sur les enfants et les jeunes :
«J’ai peine à imaginer des enfants sortant de leurs centres d'apprentissage, des tout-petits ou des bébés confrontés à l’odeur de cette substance. Ils sont censés être dans un environnement sain; nombreux sont leurs parents qui ont été ou sont dépendants de cette substance. Donc, même la simple odeur déclenchera une réaction chez les enfants. Comment leur faire comprendre qu'ils sont en sécurité ici ? Peuvent-ils même aller jouer dehors?»
Les expériences des personnes vivant à proximité d’industries de cannabis suggèrent fortement qu'il existe des problèmes d'éclairage excessif et d'odeurs émanant de ces opérations.
Lisa explique que la sécurité est la priorité à Kackaamin. Lorsque les familles y viennent, leur parcours de guérison implique de «s'ouvrir» émotionnellement et d'aborder des questions très difficiles. Ceci veut dire que le personnel de Kackaamin doit travailler fort pour créer un environnement sécuritaire pour les individus et leurs proches.
La construction d’une usine de cannabis de grandeur industrielle à proximité du centre de guérison présente un défi très évident pour maintenir cet espace sécuritaire. L'installation de 57 000 pieds carrés est située à environ 140 mètres de la garderie de Kackaamin et pourtant, le Centre n'a pas été consulté lors de la planification initiale de l’usine. De plus, les préoccupations de Kackaamin concernant le développement ont été maintes fois rejetées.
Bien que Kackaamin ne soit pas opposé à la culture du cannabis en général (et qu'ils reconnaissent les bienfaits de la marijuana médicale pour l’ensemble de la population), l'emplacement de cette usine est tout simplement inacceptable. Comme l'ont fait remarquer les résidents locaux, il existe un certain nombre de sites disponibles dans les zones industrielles de la région qui seraient mieux adaptés qu’un paisible quartier résidentiel.
Impacts sur l'eau, la faune, la qualité de l'air et les terres agricoles
En plus des craintes liées aux odeurs, les habitants de la communauté de Beaver Creek ont un certain nombre de questions par rapport à la façon dont les activités de la compagnie de cannabis affectera l'environnement.
Le terrain où Premium Cannabis Meds propose de construire l’usine est composé à 70% de terres humides. Cette zone écologique sensible contient à son tour des ruisseaux et cours d'eaux, avec des écosystèmes riverains fragiles où se trouvent plusieurs sortes de poissons. Les résidents ont exprimé leurs préoccupations quant aux impacts potentiels sur les oiseaux migrateurs, les zones de reproduction du saumon et la destruction de l'habitat de la tortue peinte de l’Ouest, cette dernière étant une espèce menacée. De plus, le haut niveau phréatique de la communauté rend ce secteur propice aux risques d’inondations.
La qualité de l'air et la pollution sont également des préoccupations importantes pour les membres de la communauté puisque l'environnement unique de Port Alberni augmente ces risques. Selon un rapport du gouvernement de la Colombie-Britannique sur la qualité de l’air dans la région, «le terrain montagneux qui entoure Port Alberni restreint la circulation de l'air, ce qui peut réduire la capacité de l'atmosphère à disperser les polluants.»
D'autres préoccupations de la communauté concernent la possibilité de pollution de l'eau, la pollution lumineuse, le bruit industriel et les risques d'incendie.
Nouvelles règles concernant le cannabis et la Réserve des Terres Agricoles
Le terrain de la compagnie de cannabis de Beaver Creek est situé sur la Réserve des Terres Agricoles (Agricultural Land Reserve, ALR) qui vise à protéger les terres agricoles de la Colombie-Britannique. La faible coût de ces terrains par rapport aux terrains zonés industriels peut être attrayant pour l'industrie du cannabis. Ce facteur a obligé la Commission des Terres Agricoles (Agricultural Land Commission, ALC) de la Colombie-Britannique à se questionner à savoir comment les opérations de cannabis correspondent aux objectifs de la Réserve des Terres Agricoles.
En juillet 2018, alors que Premium Cannabis Meds BC était sur le point d'obtenir un permis de construction de la part du District Régional d’Alberni-Clayoquot (Alberni-Clayoquot Regional District - ACRD) , l'ALC a annoncé des nouvelles règles visant à restreindre la construction d’usines de cannabis sur une base en ciment sur des terrains protégés de la Réserve des Terres Agricoles. Premium Meds BC a alors dû demander à l'ACRD une exemption d’utilisation à des fins autres qu’agricoles afin de construire sa structure en ciment sur la propriété.
La Commission des Terres Agricoles (ALC) affirme que les gouvernements locaux jouent un rôle important dans le processus décisionnel par rapport au type d’industries de cannabis qui pourront oeuvrer dans leur communauté. Avec le soutien des Fonds de Résolution des Litiges Environnementaux (EDRF), Kackaamin et les membres de la communauté de Beaver Creek ont travaillé avec l'avocat Patrick Canning pour effectuer des recherches juridiques et soumettre un nombre de lettres au conseil d'administration de l’ACRD. Ces documents expliquaient pourquoi et comment le conseil d’administration pourrait exercer sa juridiction afin de protéger le quartier des impacts associés à cette usine de cannabis. Malheureusement, les préoccupations de la communauté n'ont toujours pas été prises en considération.
En plus des efforts juridiques des résidents, une évaluation environnementale commandée par le promoteur et soumise à l'ACRD a souligné les risques reliés aux inondations. Cette évaluation a suggéré que l’emplacement de l’usine serait préférable « sur un terrain situé à l’extérieur de la Réserve des Terres Agricoles, par exemple dans une zone industrielle légère » (p. 231). Même le Comité Consultatif Agricole de l'ACRD a recommandé à la Commission de rejeter la demande d'utilisation à des fins autres qu’agricole. (p. 192)
L’ACRD avait l’opportunité et l'autorité de rejeter la demande pour une exemption d’utilisation à des fins autres qu’agricole. En dépit de cela, l’ACRD a décidé de référer la décision à l’ALC qui a approuvé la demande en janvier 2020.
Le rôle du racisme environnemental
Le fait que cette entreprise ait reçu l’autorisation de construire malgré les préoccupations de la communauté en ce qui a trait à la proximité de l’usine et du centre de guérison autochtone, on peut se questionner sur le rôle du racisme systémique dans les processus décisionnels des différents niveaux de gouvernements. Si un projet similaire d’entreprise de cannabis avait été proposé à proximité d'un centre de guérison familial non-autochtone, aurait-il été approuvé?
(Il se trouve qu'une autre grande opération de cannabis a été proposée dans la région de la Vallée d’Alberni, près de Sproat Lake, mais elle a été annulée fin 2019 en raison de l'opposition de la communauté).
Le racisme environnemental fait référence à la discrimination raciale qui se reflète dans les politiques environnementales, l'application des lois et des règlements, ainsi que le ciblage des communautés autochtones, noires et de couleur comme sites de développement nuisible, la sanction de la pollution et l'exclusion de ces communautés dans les prises de décisions. Pour Lisa, regarder l'expérience de Kackaamin avec cette perspective est décourageant, mais malheureusement, ce n'est pas inhabituel.
«Cela a toujours été le cas avec les Premières Nations, comme si nous ne comptions pas, vous voyez ? C'est ce que j'ai ressenti. Je pense que c'est ce qui m'a blessé le plus, c'est que j'avais l'impression que tout le monde s'en fichait. C'était comme si, allez-y, ils ne comptent pas», dit-elle.
Ce problème est d'autant plus frappant puisque Lisa et ses collègues de Kackaamin font un travail important pour aider les familles autochtones à guérir des traumatismes causés par l'histoire coloniale du Canada.
Alors que les représentants élus soulignent leur engagement envers la réconciliation reliée au respect envers la Déclaration des Nations Unies sur les Droits des Peuples Autochtones (United Nations Declaration on the Rights of Indigenous Peoples, UNDRIP), et de la mise en œuvre des actions recommandées par la Commission de Vérité et Réconciliation du Canada, les gouvernements canadiens doivent veiller à ce que ces engagements soit reflétés dans les décisions prises sur le terrain - et la distribution des permis pour la production industrielle de cannabis ne fait pas exception.
Appel aux membres de partis politiques locaux, provinciaux et fédéraux
Les habitants de Kackaamin et de Beaver Creek ont fait part de leurs préoccupations concernant l’usine de cannabis aux membres élus de tous les niveaux de gouvernement – allant du Conseil du District Régional d'Alberni-Clayoquot à la Chambre des Communes.
Après des décisions décevantes aux niveaux locaux et provincial, ils se sont tournés vers le député de Courtenay-Alberni, Gord Johns. Ce dernier a présenté une pétition au Parlement Canadien le mois dernier, demandant la réévaluation et l'annulation de toutes demandes de permis de cannabis et d’applications à Santé Canada, dans la communauté de Beaver Creek.
Vous pouvez signer la pétition parlementaire ici.
Comment vous pouvez aider
En plus de signer et de partager la pétition parlementaire, vous pouvez soutenir Kackaamin et la communauté de Beaver Creek dans leurs efforts juridiques en contribuant à leur campagne GoFundMe.
Vous pouvez également suivre leur travail sur les réseaux sociaux (Facebook, Twitter, Instagram) et trouver plus d'informations ici.
Traduit par : Noémie Foley
Bénévole pour la communauté de Beaver Creek